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de théâtre ”, et “ s’appliquer ”. Jamais je ne l’ai entendue employer un mot d’argot, ni un terme cru. Dans sa bouche, un écart de langage équivaut à un geste de violence. Un geste de violence par ce temps-là !… C’est extravagant. ”

— Qu’est-ce qu’on fait avant le dîner ?

Jane, qui gardait son attitude de suppliante aux pieds de Fanny, releva le front :

— Vous ne voulez pas aller à la ville, prendre le thé chez le boulanger ? On reviendrait à pied…

— Oh ! mima Fanny, effrayée.

— Non ? Vous engraissez, Fanny.

— J’engraisse toujours quand il fait chaud et que j’ai plus de dix mille francs en caisse. Vous connaissez assez “ l’ordre et la marche ” pour savoir que je ne manque jamais d’occasions de maigrir.

— Oui… Voulez-vous que je vous lave les cheveux ? Non, vous ne voulez pas. Voulez-vous que nous pressions les groseilles et les cassis qui restent du déjeuner ? Une poignée de sucre, un peu de kirsch, on verse le jus sur le gâteau de Savoie d’avant-hier qui gonfle, on sert, à part, un petit pot de crème fraîche, et on a, pour ce soir, un entremets tout neuf, qui ne coûte rien.

— Ça fait pension de famille, dit Fanny avec répugnance. Je n’aime pas les entremets rajeunis.

— À votre aise, chère Fanny ! Que Dieu continue à vous garder des pensions de famille où j’appris, en effet, l’utilisation de bien des choses…

La douceur du reproche parut lasser Fanny, qui, prenant appui sur les épaules de Jane, se leva.