Page:Colette - Contes des milles et un matins, 1970.djvu/19

Cette page n’a pas encore été corrigée

des villas joujoux enferment leur arpent de terre, d’arbres et de fleurs, dans une enceinte de murs neufs, et l’on songe aux limites puériles que les enfants dessinent, avec des graviers blancs ou des coquilles, autour d’un fort de sable…

Tout devient, sur la terre, d’une précision extrême, et plus petit encore, et simplifié, à mesure que nous montons davantage. Je m’écrie : « Oh ! regardez ! ils ont peigné si finement ce champ… Et pourquoi ont-ils dessiné là une route si capricieuse… » Ils… Depuis mon départ, je parle d’eux comme si je ne devais plus redescendre sur la terre. Il y a deux races : ceux d’en bas et nous, nous les passants du ciel. La nacelle emporte deux ou trois voyageurs qui, comme moi, ascensionnent pour la première fois ; je les vois comme moi, curieux et détachés de ce qui se passe en bas, étrangers aussi à l’idée de la chute, du danger, même du vertige, adaptés du premier coup au miracle du vol. Nous inventons, pour l’imposer à ceux d’en bas, une architecture nouvelle, une coquetterie décorative qu’ils déploieraient pour nous, rien que pour nous…

Une sécurité exigeante émane de notre joie ; nous demandons au maître de ce beau navire des voyages sans fin, des nuits bercées à trois mille pieds, des réveils dans les nuages, des crépuscules comme celui-ci, rouge et barré de noir, où demeure assez de soleil pour que s’y embrase la flèche d’un village, de deux, de dix villages épars…