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PROMENADE EN HOLLANDE.

vos désirs et de vos fantaisies ! Quand nous vous vîmes grands et beaux, intelligents et audacieux, nous pensâmes : Ils sont appelés à parcourir le monde, à exercer partout leur ascendant et leurs séductions ; nous entrevoyions pour vous une jeunesse d’aventures glorieuses dans les beaux pays qu’éclaire le soleil, et non une vie taciturne et morne sous nos brouillards hollandais. Oh ! nous, vos mères, nous aurions su attendre et nous résigner ; nous comprenons ce qu’il faut de mouvement et d’espace à votre ardente jeunesse. Mais l’égoïsme des vierges est sans pitié ; elles veulent vous éteindre et vous enchaîner avant l’heure. Il en eût été bien temps quand vous auriez eu trente ans et que vous auriez épanoui votre âme sous des cieux plus riants. Voyez tous les grands hommes de notre pays : se sont-ils rivés à cette terre plate et monotone ? Ils doivent leur génie aux voyages lointains, au contact de leur esprit avec tous les esprits éminents des autres nations ! Croyez-vous qu’ils se seraient élevés si, à vingt ans, ils avaient claquemuré leur jeunesse dans un fromage de Hollande, une jupe de femme et un berceau d’enfant ? »

J’écoutais ébahi les deux mères, et me rappelant mes auteurs classiques, je me demandais si, à l’exemple de certains procédés des épopées antiques, quelque Dieu malfaisant ne parlait pas en ce moment par leur bouche ; à coup sûr un être sur-