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PROMENADE EN HOLLANDE.

eût fait un chef-d’œuvre de ce contemplateur moderne. Une des lampes suspendues de la salle éclaire sa tête en plein ; toute la flamme de ses yeux se condense sur les lettres imprimées, qu’il dévore ; il ne voit pas les regards de ceux qui l’observent, il n’entend pas le cliquetis des plats de ceux qui mangent ou boivent pour se distraire.

En face de lui, un homme de trente ans soupe bruyamment. Cet homme a la figure carrée, la bouche et le nez larges, la physionomie satisfaite ; quand il ne mange ou qu’il ne parle pas, il siffle toujours un air ; mais, en ce moment, il engloutit avec l’avidité d’un chacal tous les mets qu’on place devant lui : il épuise la carte du restaurant ; il demande au garçon du vin de Bordeaux et du vin de Champagne ; il savoure son café, qu’il entremêle de vingt sortes de liqueurs ; il tient son cure-dent à la lèvre, comme un cigare, et regarde d’un air aimable les femmes qui passent, à travers le lorgnon à un seul verre qui ne quitte pas son œil gauche ; il interpelle les domestiques et les passagers placés près de lui, en français, en anglais, en hollandais ; il parle mal toutes les langues : c’est un cosmopolite banal et irritant… un commis voyageur !

Autour d’une autre table est placée une vraie famille hollandaise : le père est énorme, rouge de peau, avec des cheveux d’un blond clair ; les deux fils et les deux filles ont le même type en diminutif ;