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PROMENADE EN HOLLANDE.

souriant que mon repas tranquille et frugal forme un étrange contraste avec les tapageuses libations dont cette salle est habituée à retentir. « Si les meubles sont ici en mauvais état, ajoute-t-il, c’est la faute de ces messieurs, qui brisent tout quand leur tête est partie ; où a beau réparer leur dommage, c’est à recommencer huit jours après. » Je remarque alors plusieurs chaises défoncées, et sur la cheminée et les étagères toute une collection décapitée de statuettes en coquillages semblables à celles que font les pêcheurs de nos ports de la Bretagne.

L’hôte, qui suivait mon regard, me dit avec une gravité triste :

« Voilà pourtant ce qu’ils ont fait de ma dernière emplette à la foire de Rotterdam. J’ai voulu me fâcher et me faire payer une indemnité, mais ils m’ont menacé d’abandonner mon établissement, et j’ai dû filer doux. Oh ! les étudiants ! c’est, voyez-vous, madame, comme un canal de vif-argent dans une ville : ils y répandent le feu et la flamme. Si vous saviez comme ils rendent toutes nos jeunes filles coquettes ! Moi, qui ne veux pas de scandale, je n’emploie plus que de grosses et vieilles servantes !… »

Le brave homme me salua après m’avoir édifiée de la sorte, et j’allai m’accouder à la fenêtre de ma chambre pour regarder la nuit silencieuse : quelques lambeaux de mélodies des orchestres lointains