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Inspirent à sa voix, plus fière et plus stridente,
Des hymnes de douleur si beaux qu’ils font pleurer !…

Ah ! ces nobles tourments, souvent je les envie ;
Ils déchirent le cœur, mais font sentir la rie.
Gladiateur sanglant, il est beau de lutter :
À l’homme de génie il faut de grands contrastes ;
Après des jours sereins il faut des jours néfastes…
      Son âme doit tout refléter.

Il est beau de souffrir comme a souffert le Dante !
Aux cris de Némésis, implacable et mordante,
II est beau d’imposer silence en l’étouffant !
Il est beau que le Tasse , accusé de folie ,
Meure, et lègue un remords à toute l’Italie,
      Qui ne le vit pas triomphant !
      
Comme Homère, il est beau que Camoëns mendie ;
Que Corneille expirant fasse une tragédie
      Pour obtenir du pain ;
Que Milton, en créant son ange des ténèbres.
Ressente tour à tour, dans ses heures funèbres.
      Les tourments qu’il dépeint !

Puis, il est beau d’ouïr le jeune Malfilâtre,
Lui qui trouva toujours la nature marâtre,
      Chanter la volupté !
Il est beau que Gilbert, mourant dans un hospicf ,
À ses vers dédaignés laisse pour frontispice :
      Génie et Pauvreté !

Eh ! n’est-ce pas encore une chose sublime
Que la gloire vouée au supplice du crime ?
Chénier[1], de l’échafaud volait au Panthéon !…
Sous le glaive, Roland déployait sa grande âme.
Fière et belle Roland, est-il un cœur de femme
Qui ne batte d’orgueil en prononçant ton nom !


  1. André Chénier