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Parce qu’il est encor des roses sur ma joue,
Et qu’étouffant mes pleurs, je souris et me joue
      Du bonheur qui me fuit,
Tu dis, en me voyant : « Cette femme est heureuse !
» Elle pourra calmer ma vie aventureuse,
» Elle pourra répandre un rayon sur ma nuit ! »

Ah ! si c’est la pitié que ton passé réclame,
J’en ai pour le malheur ; viens puiser dans mon âme :
      Mais moi, te consoler !
Moi, qu’entoura toujours la froide indifférence,
Ce langage d’amour qu’implore ta souffrance,
      Saurai-je le parler ?

Puis-je, pour adoucir le mal qui te dévore,
Au songe du bonheur te faire croire encore,
      Lorsque je n’y crois plus ?
Puis-je à ton cœur brisé conseiller la prière,
Moi qui reste à genoux muette sur la pierre,
Et n’ose plus former des vœux toujours déçus ?

À des jours sans bonheur, non, je ne puis me faire ;
Je suis faible à la vie ; et, vers une autre sphère
En tournant mes regards, j’ose interroger Dieu ;
Je dis : « Quoi ! sans pitié pour une pauvre femme,
» D’amour, de poésie il a pétri mon âme,
» Et j’ai dû lutter seule avec ce double feu !

» Seule ! sans rencontrer la source où l’on s’étanche !
» Seule ! sans une autre âme où mon âme s’épanche !
» Seule ! pour admirer, croire, aimer et souffrir !
» Seule ! seule toujours !… Si je dois ainsi vivre,
» Avant qu’à blasphémer le désespoir me livre,
      » Mon Dieu, fais-moi mourir !… »

Et pourtant, ce n’est pas que le destin m’abreuve
De ces malheurs puissants qui mettent à l’épreuve
Le poète ici-bas, pour le régénérer.
Et qui, bouleversant son âme indépendante,