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Qui pour moi de l’enfance empoisonnaient les jeux !
Ces rêves dont j’étais jour et nuit poursuivie,
Qui formaient dans ma vie une seconde vie,
Idéale, sublime, et qui tue à jamais
L’existence réelle ! Et toi, toi qui m’aimais :
« Enfant, me disais-tu, laisse tout penser grave
À l’âme des vieillards. L’atmosphère est suave,
Viens voir du jour naissant les secrètes beautés ;
Que de naïfs plaisirs ton cœur n’a pas goûtés !
Du luxe et des grandeurs l’âme se rassasie ;
Mais il est une intime et simple poésie
Que pour toi Dieu sema dans les champs d’alentour ;
Viens, tu feras des vers sur le lever du jour.
Et ton chant virginal, ainsi qu’une prière.
Montera vers le ciel, d’où descend la lumière. »

Et de ma couche alors levant le blanc rideau,
Ma mère, tu semblais soulever le fardeau
Qui pesait sur mon cœur ; et, soudain éveillée,
Puis par tes douces mains avec soin habillée,
Après avoir prié pour mon père et pour toi
Le ciel où maintenant vous priez Dieu pour moi ;
Après avoir reçu de ta lèvre adorée
Ce baiser du matin dont la mort m’a sevrée,
Plus calme et ranimant mon cour à ton amour.
Je te suivais aux champs pour voir lever le jour.
Et d’abord sous cet orme à l’ombre séculaire,
Qui sur la grande cour dresse un toit circulaire,
Comme pour abriter avec son vert manteau
Du soleil du midi les murs blancs du château ;
Sous cet orme où l’oiseau pose son nid de mousse,
Où le coq matinal chante, où la poule glousse,
Où le paon fait briller son plumage étoile,
D’abord tu t’arrêtais en égrenant du blé ;
Et la poule et le coq à la crête écarlate
Accouraient en frappant le gazon de leur patte ;
Et le paon, déployant sa queue en tournesol,
Leur disputait le grain qui tombait sur le sol ;
Et les oiseaux dans l’air jetaient mille ramages,
Et le soleil jouait dans leurs brillants plumages.,