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le dégoût du siècle ; esprits mal faits qui déflorent les œuvres de l’esprit et égarent le goût public. Qu’on me permette à ce sujet une comparaison toute féminine : est-il rien de plus gracieux que des enfants jouant à l’entour de leur mère, gais, insouciants, heureux ? On sourit à leurs jeux bruyants, on se prêle à toutes leurs tyrannies, leurs défauts sont embellis par leurs grâces ; mais placez ces beaux petits anges sous la férule d’un pédagogue célibataire sans entrailles, aussitôt ils deviennent des êtres disgraciés, hargneux, intolérables ; leur prestige a disparu, et c’est à peine si l’œil d’une mère pourrait les reconnaître. Il en est de même des plus fraîches créations du poète : en passant sous les verges de certains critiques, elles perdent leur parfum naturel, leur charme primitif, et ne s’offrent plus aux regards du public que sous le masque grimaçant que leur ont mis des juges sans justice.

Pour ceux-là, je serais heureuse que mon livre ne s’ouvrît point.

Il en est encore qui, dans un autre ordre, doivent être, sinon hostiles, du moins indifférents à la poésie : ce sont les heureux de la terre, ceux qui jouissent en réalité des douces choses que le poète regrette ou n’a fait que rêver. S’ils ont des enfants à caresser, un beau ciel à contempler, une passion noble et vraie qui remplisse leur âme, à ceux-là je dirai : Savourez le temps, jouissez de vos loisirs, et ne lisez pas ces tristes rêveurs qu’on appelle les poètes. Quelle poésie vaut la nature ? Mais, hélas ! combien ils sont en petit nombre, ces élus du monde ! combien fragile est