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à mon tour ; souper et voir quelque belle femme qui ne me fera pas de métaphysique.

Je ne trouvai pas un mot à lui répondre ; des paroles de morale m’eussent paru froides et superflues ; un démenti m’aurait semblé hypocrite ; il avait deviné que j’en aimais un autre ; éloigné ou présent, cet autre existait et m’avait tout entière. Je marchai donc silencieuse, derrière lui, l’éclairant jusqu’à la porte de sortie. Là, je lui tendis la main :

— Non, me dit-il en la repoussant, car avant une heure ce seront des mains banales qui m’enlaceront.

Il descendit l’escalier précipitamment et en chantant un refrain moqueur. Je l’entendis fermer la porte cochère avec fracas.

Je restai quelques instants comme pétrifiée ; mais que pourrai-je donc faire pour lui ? me demandai-je. — Rien, me répondit la voix d’une inflexible logique, puisque tu ne l’aimes pas d’amour. Il court en ce moment au cabaret, puis ailleurs, et, pour le sauver, il faudrait lui ouvrir les bras, et lui dire : Reste ici, tu seras mieux.

Quand je me retrouvai assise dans mon cabinet, prenant la plume pour écrire à Léonce, sa belle et chère image agrandie par la solitude dans laquelle il vivait, chassa bien vite de son regard calme l’image agitée d’Albert. Il n’avait pas, lui, de ces inquiétudes, et de ces transports d’enfant, l’amour l’éclairait sans le brûler ; c’était la lampe de son travail nocturne ; la récompense de sa tâche accomplie. Oh ! voilà le véri-