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nir tous les autres soirs quand vous serez seule ? Sinon, non. — Et il secouait ma main en me répétant : Voyez-vous, je ne veux plus souffrir !

— Quelle âme tourmentée avez-vous donc, lui dis-je, pour me parler ainsi le second jour où vous me voyez ? J’avais cru être avec vous cordiale et simple, je n’ajouterai pas fraternelle puisque le mot vous déplaît.

— Et la chose encore plus, répliqua-t-il.

Il s’assit sur le tapis de foyer à mes pieds, et continuant à tenir ma main il poursuivit :

— Si vous me laissiez là oublier les heures, la tête appuyée sur vos genoux sans vous parler, sans vous demander rien de plus, mais certain que je pourrai tout vous demander un jour, que je suis le préféré, l’attendu, qu’avant moi vous n’aviez que des amis, que la place était vide et que je puis la remplir ; que vous m’aimerez enfin, quoique je ne sois plus que l’ombre de moi-même et que le passé m’ait submergé.

Je me levai tout à coup et, par ce mouvement, je repoussai sa tête et ses mains.

— Vous altérez trop vite, repris-je, la douce joie que j’ai goûtée à vous connaître ; vous troublez l’amitié, vous voulez dans mon cœur une place à part, vous l’avez dans mon admiration cette place choisie et presque exclusive, et cela vous explique le charme qui suspend mon esprit au vôtre, mais pour l’autre attrait, celui qui foudroie, entraîne et confond, je…

— N’achevez pas, marquise, je comprends ; cet attrait-là vous l’avez pour un autre. Mais comment donc