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en quelques secondes à la porte du jardin des Plantes.

Une foule d’enfants la franchissaient avec leurs mères ou leurs bonnes, leurs pères ou leurs précepteurs ; la plupart s’arrêtaient d’abord devant les petites boutiques de gâteaux, d’oranges, de sucre d’orge et de liqueurs adossées de chaque côté de la grille extérieure ; les marchandes attiraient les enfants en leur criant :

— Venez vous fournir, mes petits messieurs et mes belles demoiselles !

Albert dit à mon fils :

— Il faut faire aussi notre provision de brioches pour les ours, les girafes et les éléphants.

Et il se mit à remplir les poches et le chapeau de l’enfant de pâtisseries et de bonbons.

— Vous pouvez y goûter d’abord mon petit ours bien léché.

Et, comme pour engager mon fils, Albert se fit servir un verre d’absinthe qu’il avala.

— Oh ! poëte ! cela se peut-il ? m’écriai-je.

— Marquise, reprit-il gaiement, je me donne des jambes pour vous accompagner dans les galeries, dans les allées et dans les serres, et vous m’eussiez montré un bon cœur et un esprit sans préjugé en n’y prenant pas garde.

— Mais c’est que je sens que cela vous fait mal.

— Les fumeurs d’opium que l’on sèvre trop vite, meurent tout à coup, répliqua-t-il.

Tandis qu’il parlait, un peu de sang rose affluait vers ses joues et en colorait l’effrayante pâleur ; ses yeux étaient vifs, l’air pur du jour animait tout son visage,