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en bois de chêne, sur lesquels se détachait un tableau de l’école vénitienne. C’était une Vénus, de grandeur naturelle, couchée nue dans les plis d’une draperie de pourpre. Cette figure, fort belle, était tellement en relief qu’elle vous frappait en passant comme une réalité.

Nous trouvâmes Albert dans un petit salon qui lui servait de cabinet de travail ; des rayons en chêne couverts de livres s’étendaient sur toute la paroi du fond ; deux portraits au crayon, celui de Mlle Rachel et celui de Mme Malibran, étaient placés parallèlement. De grands fauteuils, un piano, un bureau en palissandre, et une pendule couronnée d’un bronze d’après l’antique, complétaient l’ameublement. Albert se tenait à moitié étendu sur une causeuse en cuir violet ; il se leva précipitamment, ou plutôt automatiquement, en nous voyant entrer comme si un ressort l’eût redressé. Je le considérai avec une tristesse visible qui m’empêcha d’abord de lui parler. Quel changement s’était fait en lui depuis le soir où je l’avais vu à l’Arsenal ! Son corps amaigri avait peut-être plus de distinction encore, et la pâleur mortelle de sa tête en augmentait l’expression idéale ; mais quels ravages, mon Dieu ! les pommettes, luisantes et blêmes, étaient en saillie ; les yeux caves brillaient d’un feu étrange ; ses lèvres étaient presque blanches ; son sourire contraint laissait voir des dents altérées. Oh ! ce n’était plus le frais et gai sourire de la jeunesse où l’amour pétille ! l’amertume de l’âme semblait être remontée jusqu’à la bouche et l’avoir brûlée d’un corrosif. Son front seul était