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et je me figurai sa surprise moqueuse en se le représentant à mes pieds m’offrant son amour et son argent ! Cependant quand j’en arrivai, dans le récit que j’écrivais à Léonce, à ce dernier trait de cynique espérance, je ne pus me défendre de quelques réflexions poignantes sur le sort des femmes, de manière que ma lettre qui avait commencé gaiement finissait sur un ton sombre et amer. Mes réflexions étaient générales, mais un cœur bien tendre et bien épris y eût puisé des élans d’amour et de dévouement.

Dans la réponse que me fit Léonce, je ne trouvai, et ce fut avec un peu de surprise, qu’une énumération curieuse et très-érudite de tous les vieillards débauchés et lascifs que les poëtes ont raillés depuis l’antiquité jusqu’à nos jours. Il citait les vieillards d’Aristophane, ceux de Plaute et de Térence, ceux de Shakespeare et de Molière ; il empruntait même au théâtre chinois une scène qui met en évidence les amoureuses perplexités d’une barbe grise. Sa lettre était ingénieuse et amusante ; je n’y vis qu’une nouvelle preuve de son intelligence qui me fascinait ; plus tard, mes yeux se dessillèrent et cet esprit où il n’y avait pas d’âme m’apparut sans grandeur. Les cœurs qui aiment ont la cataracte ; ils n’y voient plus.

Lorsque René Delmart revint chez moi et que je lui racontai ma scène avec Duchemin, il la prit au sérieux, tout en raillant le pédant : — Chère, chère marquise, me dit-il en me serrant affectueusement les mains, voulez-vous que je donne une leçon à cet homme-là ?