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souffert par vous, vous disposeriez de ma fortune et de ma vie ; et le vieux fou, en prononçant ces mots, se précipita à mes pieds ; il saisit les plis flottants de ma robe entre ses deux genoux comme dans un étau, et, prenant dans la poche intérieure de son habit un portefeuille crasseux, il l’ouvrit et en tira à demi plusieurs billets de banque ; laissez-donc faire à un ami, me dit-il, en les tendant vers moi et aimez un peu celui qui sent tant de flamme pour vous !

Il avait les allures d’un Tartuffe grotesque ; un moment, je crus que l’hilarité l’emporterait en moi sur le mépris ; mais mon indignation fut la plus forte ; du revers de ma main gauche je souffletai le portefeuille qui alla tomber au bord du feu, et de l’autre je poussai si rudement le vieux cuistre vacillant sur ses genoux, qu’il roula à la renverse sur le tapis. Son premier soin ne fut pas de se relever, mais d’étendre précipitamment sa main osseuse vers le portefeuille béant qui touchait aux cendres chaudes et qui pouvait s’enflammer. J’avoue que j’aurais été ravie de voir flamber ces insolents billets de banque.

Je n’invente rien dans la scène que je raconte.

Il n’y a que les vieillards de soixante-six ans pour avoir de ces façons-là ; les pédants surtout ; sitôt qu’ils flairent un tête-à-tête avec une femme du monde, ils mettent à la hâte une cravate blanche sur une chemise sale, leurs cheveux gras s’appuient sur le col de leur habit fripé ; leurs mains sont à demi lavées, et ils osent s’agenouiller, ainsi faits, aux pieds d’une femme élé-