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tion, vous songez donc au triste métier des lettres ? Quoi ! vous voulez écrire et tacher d’encre cette jolie main qui sollicite les baisers ? vous voulez aller sur nos brisées ? Oh ! croyez-moi, l’amour vaut mieux que la gloire !

Tandis qu’il me débitait ces banalités, je le toisai avec un ricanement qui le déconcerta.

— Je croyais, monsieur, m’être mieux expliquée en vous écrivant, lui dis-je ; je n’ai pas la prétention de faire de la littérature, mais seulement des traductions d’anglais, d’allemand et d’italien. Quant à la gloire, je n’y prétends pas plus qu’au talent. C’est la nécessité qui me décide à ce travail.

— Oh ! bel ange ! répliqua-t-il du ton d’un chantre qui entonne un cantique, et en saisissant ma main et palpant mon bras à travers ma manche large, la nécessité ! quel vilain mot prononcez-vous là ! Vous que j’ai vue si brillante et si fêtée dans tous nos salons, est-ce possible que vous soyez exposée à la nécessité ?

— Ne me plaignez pas, repartis-je en riant, et en me dégageant de sa patte crasseuse et velue, je n’ai jamais été plus heureuse.

— Oh ! ce n’est pas vous que je plains, héroïque femme, poursuivit-il avec le même accent pieux, mais ces prétendus grands poëtes qui vous entourent, qui se disent vos amis, qui ont peut-être le bonheur d’être mieux que cela (à ces mots son œil louche pétilla), et, poursuivit-il, qui n’ont jamais trouvé le moyen de vous aider dans les peines de la vie. Sans me don-