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seule auprès de ce feu flamboyant, la tête éclairée par une lampe à globe d’opale.

Je n’ai jamais vu saluer aussi bas que saluait la taille torse du pédant ; c’étaient des inflexions dégingandées, où le dos et la tête luttaient de mouvement à qui mieux mieux ; son front, blême et luisant comme un crâne, et couronné ou plutôt hérissé de cheveux ras et grisonnants, se couvrait de rides mouvantes quand sa bouche essayait de sourire. Les flatteurs de Duchemin, les jeunes cuistres qu’il a formés et les journalistes gagés, ont répété jusqu’à satiété qu’il avait l’esprit, le sourire et le regard de Voltaire. Pour ce qui est de l’esprit, les écrits même de l’important personnage se chargent de réfuter cette monstrueuse hyperbole ; quant à son sourire, il m’a toujours paru une grimace, que ses petits yeux perçants et louches accompagnent de leur clignotement. Le sourire ironique et mordant, le regard ouvert et profond de l’amant de Mme du Châtelet, étaient d’une autre trempe.

Je voulus me lever pour recevoir Duchemin ; il s’y apposa en se courbant vers moi comme un cerceau, et, en saisissant ma main qu’il baisa :

— À vos pieds, madame la marquise, à vos pieds, répétait-il avec l’accent de l’oraison.

Je me reculai et l’engageai à s’asseoir, et, après l’avoir remercié de son empressement à répondre à mon appel, je lui exposai, d’un ton froid et rapide, en quoi il pouvait me servir.

— Oh ! pauvre femme ! s’écria-t-il avec componc-