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cuteurs des nations jusqu’aux oppresseurs des femmes. Il avait le génie d’amoindrir et de vulgariser les êtres méchants ; il les dépouillait ainsi de leur puissance et de leur prestige, et, les faisant apparaître dans leur laideur et leur infériorité à leurs victimes, il inspirait à celles-ci l’étonnement de les avoir aimés ou de les avoir craints.

Je songeais donc que puisque ce fier et généreux cœur avait défendu Albert, il restait à coup sûr à celui-ci beaucoup de sa grandeur et de sa sensibilité premières ; je sentis s’accroître le désir très-vif que j’avais toujours eu de le connaître, et, pour en faire naître l’occasion, je souhaitai presque que Duchemin me refusât son appui.

Mais le lendemain, dans l’après-midi, je reçus de l’important personnage une réponse, du tour le plus galant, où il me disait qu’il mettait à mes pieds son faible crédit, et qu’il s’empresserait de venir le soir même, à l’issue du dîner, prendre mes ordres pour les exécuter.

Je me souviens qu’il faisait ce jour-là un froid très-vif, dont une pluie noire augmentait encore l’intensité. Frileuse comme une créole, j’avais un feu énorme dans le cabinet où je travaillais, entourée de mes livres et de mes chers souvenirs.

Duchemin arriva beaucoup plus tard qu’il l’avait annoncé ; si bien que mon fils, qui s’était endormi sur mes genoux, venait d’être emporté dans son lit par Marguerite, quand le savant parut. Il me trouva donc