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— Je veux que tu vives pour moi, que tu redeviennes belle et forte comme tu l’étais, il y a trois ans, quand j’étais petit. Maintenant je comprends tout, ajouta-t-il avec un regard terrible, où la fierté inflexible de l’adolescence se révélait ; j’ai deviné celui qui t’a tuée, et si tu meurs, vois-tu, eh bien ! je le tuerai un jour !

— Tais-toi, tais-toi, m’écriai-je, en l’étreignant sur mon cœur.

J’eus honte de ma douleur, et je rougis de mon amour devant mon fils.

L’amour est une grande et sainte chose lorsqu’il complète la vie, mais s’il nous conduit à l’anéantissement de nous-même, il nous dégrade.

Je levai la tête devant le regard superbe de mon noble enfant, et je lui dis avec résolution :

— Sois tranquille ! je guérirai. Ne gâtons pas ce beau jour par des larmes ! Regarde ce portrait d’Albert.

Il ouvrit l’album et posa ses lèvres sur le front du poëte qu’il a toujours appelé son ami.

J’ai vécu pour mon fils ; et à mesure que la blessure de mon lâche et aveugle amour s’est fermée, l’image d’Albert a rayonné dans mon cœur ; je l’ai revu jeune, beau, passionné, et je l’ai aimé dans la mort.


fin