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regarda, sans paraître d’abord me reconnaître ; ses yeux étaient ternes et ses lèvres si blanches qu’on eût pu se demander s’il vivait.

— Oh ! c’est vous, me dit-il en tressaillant et se ressouvenant ; comme vous voilà ! C’est donc vrai ce qu’on m’avait dit, que vous étiez bien mal !

Je serrai sa main sans lui répondre ; nous marchâmes péniblement l’un à côté de l’autre jusqu’au bout du pont ; là, il s’arrêta.

— Albert, lui dis-je en tremblant, ne viendrez-vous pas jusque chez moi ! oh ! je vous en prie, venez.

— À quoi bon, me répondit-il, j’achève de vivre et vous commencez à mourir ; nous nous attristerions en nous regardant sans pouvoir rien dire pour nous consoler. Oh ! ma pauvre marquise, il n’est plus temps maintenant de nous aimer !

— Albert, l’amour est indépendant du temps et de la vie, vous me l’avez dit un jour et maintenant je l’éprouve et j’y crois.

— Pas de réflexion ni de regret, reprit-il en s’efforçant de rire, gardons le courage de partir, il appuya sur ce mot, puis, tournant sur le pont, il me dit :

— Adieu, chère, le premier de nous qui guérira ira voir l’autre.

Je voulus le retenir encore en prenant sa main, mais elle retomba.

Nous nous quittâmes comme deux ombres qui se rencontrent un moment, s’évanouissent et ne doivent plus se revoir.