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d’affaires humaines, prêts à tous les crimes, et se décorant en public du titre d’hommes politiques.

En voyant ainsi déchoir celui que j’avais placé si haut, je reçus comme le contre-coup de sa chute ; un mal inexplicable s’empara de moi ; on me vit dépérir dans ma force ; et bientôt je compris à la tristesse de mes amis et à l’incertitude des médecins que j’étais perdue.

Albert n’avait jamais cherché à me revoir et je n’avais pas osé le rappeler. Quelquefois il rencontrait mon fils à la promenade ; il l’arrêtait pour lui recommander de ne pas l’oublier et, sans lui parler de moi, l’embrassait tendrement.

Je savais par René qu’il se mourait et cherchait de plus en plus l’oubli de ses peines dans des distractions corrosives et fatales. J’éprouvais un désir invincible de le revoir, de lui parler et de sentir encore une fois sa main dans la mienne.

Un jour d’avril, le ciel était bleu, la température presque tiède, je montai en voiture pour me rendre au jardin des Tuileries ; j’allai m’asseoir sur la terrasse du bord de l’eau, et sentant que l’air m’avait ranimée, je voulus essayer de revenir à pied chez moi ; comme je traversais lentement le pont de la place de la Concorde, j’aperçus Albert debout contre le parapet de droite ; appuyé sur la balustrade, il regardait un bateau qui descendait la Seine du côté de Saint-Cloud. Il ne me vit pas venir et je le touchai presque avant qu’il ne m’eût aperçue. J’écartai le voile qui cachait mon visage et j’appliquai ma main sur la sienne ; il leva la tête et me