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tend pas raillerie sur la gloire d’un de ses pères en métromanie, et il est bien le représentant le plus convaincu de cette littérature puérile, solennelle et banale du bon sens qui prétend faire une école renouvelée, non pas des Grecs, lui dis-je un jour, mais des Pradon.

— Vous allez vous combattre et peut-être vous battre en route, répondis-je à Albert.

— Non, non, rassurez-vous, me dit-il, la poésie est chose trop haute pour que je consente jamais à en disserter avec Amelot. C’est un bon vivant et un fin gourmet avec qui je n’ai jamais parlé que cuisine. Mais, marquise, en venant chez vous je faisais un projet délicieux.

— Lequel ? cher Albert.

— Vous partiez avec nous sous prétexte d’assister à la fête d’inauguration des deux statues et en réalité pour vous trouver quelques jours seule avec moi sur cette belle plage de l’Océan où nous nous aimerions si bien.

— Ne me tentez pas dans ma solitude et ma pauvreté, lui dis-je ; jusqu’au jour où mon procès sera gagné, j’ai fait vœu de vivre en recluse.

— Oh ! si vous m’aimiez un peu tendrement, ce vœu ne tiendrait pas contre le vœu de mon cœur. Mais je vous parle comme une romance de Dorat ; décidez donc bien vite, tyrannique marquise, ce que vous voulez faire de moi. Si je pars sans vous je vais m’ennuyer, si je reste, et j’en suis bien tenté, m’aimerez-vous ?