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Il faisait un froid très-vif, je marchais à grands pas le long des quais ; me sentant ranimé par la course, j’allais, j’allais toujours ; j’arrivai devant la grille du Jardin des Plantes ; j’eus la volonté d’y entrer, mais je ne sais quelle volonté plus forte m’en détourna et me suggéra tout à coup la pensée d’aller voir un de mes anciens camarades de collège interne à la Salpêtrière. J’entrai dans le vaste hôpital à l’aspect riant ; les vieilles femmes et les folles dormaient encore et n’attristaient pas de leur décrépitude et de leur misère ces larges cours plantées d’arbres. Je me fis conduire au logement de l’interne, je le trouvai occupé à son travail quotidien de dissection.

— Tu arrives à propos, poëte, me dit-il en riant ; j’ai reçu hier soir un des plus beaux sujets de femme qu’ait jamais touché mon scalpel ; tiens, vois plutôt : et en parlant ainsi, il me conduisit près d’un corps mutilé qu’il venait de fendre vers le flanc. La tête et les bras manquaient, mais la beauté de la gorge et du torse me firent pousser un cri d’effroi ! Je n’avais vu que deux femmes avec ces formes-là ; ce ne pouvait être la princesse russe, c’était donc la pauvre fille des rues !

— As-tu la tête de cette femme ? dis-je à l’interne.

— Oui, là dans ce panier.

Je me baissai ; la tête aux yeux ouverts me regardait menaçante ; les flots des cheveux dorés débordaient du panier !