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— Ce qui n’empêche pas, répliqua Duverger avec un rire sardonique, qu’il nous préfère de riches banquiers et quelques Anglais débauchés, débris du fameux club du Régent. Comment peut-il faire son camarade de cet Albert Nattier, qui, pour dernier exploit de sa vie tapageuse, vient de raser traîtreusement, après une nuit d’amour, les beaux cheveux de sa maîtresse endormie qu’il soupçonnait d’infidélité ! Comment peut-il traiter en amis ce lord Rilbum et son frère lord Melbourg, dont les débauches ont épouvanté Londres, et qui promènent aujourd’hui leurs millions et leur hâtive décrépitude dans les rues de Paris ? — Je le plains, continua Duverger, mais je pense comme Germiny qu’il eût mieux fait de rester l’un des nôtres.

— Oh ! si vous le jugez en politiques et en moralistes, il est perdu, répliqua le bon René. Mais, pour Dieu ! faites appel un moment à vos entraînements de jeunesse et à vos fantaisies de poëtes, et vous serez plus justes envers lui ! Souvenez-vous surtout de son organisation mobile ; il essaye de toutes les saveurs, de toutes les émotions ; il se figure y trouver une poésie nouvelle et inconnue, et je n’oserais dire qu’il n’ait su tirer souvent de ses débordements mêmes des cris de douleur et d’amour plus navrants et plus sublimes, et partant qui en enseignent plus aux âmes que toute la morale d’œuvres honnêtes faites à froid. Vous vous étonnez qu’il accepte parfois pour compagnons de plaisir de riches oisifs mal famés ! Mais leur fortune est pour lui un tréteau où il les voit se pavaner, et leurs orgies un