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je me sentis prise d’une gaieté folle. Le vieil amateur indigné nous menaça de nous quitter si nous ne respections pas le génie ! à l’entour de nous montaient aussi les murmures menaçants de quelques têtes blanchies dont nous effarouchions l’enthousiasme. Et dire que les mêmes hommes enflammés d’un si beau zèle pour cette mauvaise tragédie, auraient renié les écrits philosophiques de Voltaire, exorcisé Candide, son chef-d’œuvre, et trouvé fastidieuse son admirable correspondance ! ô bêtise humaine !…

À chaque entr’acte, Albert sortait quelques minutes de la loge, et je m’apercevais avec surprise que la pâleur habituelle de ses joues avait fait place à une rougeur de plus en plus vive. Un moment, s’étant penché vers le théâtre, il appuya sa main dégantée sur mon épaule presque nue ; sa main me brûla :

— Souffrez-vous ? lui demandai-je.

— Moi ! quelle idée, je ne me suis jamais mieux : porté ; et il se mit à me raconter tout bas les plus drôles d’anecdotes sur l’actrice qui représentait Jocaste. Sa parole abondante, ses gestes et tous ses mouvements me semblaient être le résultat d’une surexcitation nerveuse qui m’effrayait un peu.

Cependant la symétrique tragédie s’était déroulée avec emphase jusqu’au dernier acte ; les bravos des vieux amateurs retentissaient, et le nôtre proclama l’excès de son ravissement en donnant le signal du rappel de l’acteur qui représentait Œdipe !

Albert saisit cet instant pour le saluer lestement ;