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mérité tous deux d’avoir aussi leur quatrain, ajouta Albert, et aussitôt une épigramme vive et folle bondit comme une éclaboussure sur le coupé qui emportait Sansonnet et Daunis.

J’étais ravie de ces traits d’esprit si concis et si nets qu’Albert trouvait en se jouant.

— Voyons, chère marquise, essayez donc un peu à votre tour, me dit-il, je vous ai appris à tourner des vers français, vous m’avez promis de vous y exercer, voilà l’occasion ou jamais.

— Et contre qui donc voulez-vous que je m’escrime ? répliquai-je.

— Mais contre moi-même, reprit-il en riant, il y a des jours où je prête fort à l’ironie et je vous permets de me mordre à belles dents, c’est-à-dire avec les vôtres.

On eût dit qu’un jet de son pétillant esprit avait passé tout à coup en moi, car je fis sans hésiter très-rapidement quatre petits vers de la même mesure que ceux qu’il venait d’improviser.

Cétait une plaisanterie assez piquante sur le décousu de sa vie ; il rit beaucoup d’un trait final tout à fait grotesque et que j’avais trouvé je ne sais comment.

À son tour il me riposta par le même nombre de vers dans lesquels il me raillait en mots très-crus d’être trop idéale, de sorte que sa pensée et ses expressions formaient un contraste bouffon ; je ressaisis le ricochet de l’épigramme et le dirigeai contre une actrice qui passait en ce moment dans l’équipage d’un prince russe.