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vieil ami Duverger, le poëte patriotique, je crois Albert de Lincel sans danger pour vous ; sa vie d’aventures en a fait depuis quinze ans l’ombre de lui-même ; ce n’est plus le beau valseur que vous vîtes passer un soir ; c’est un corps dévasté, qui ne peut plus inspirer l’amour ; c’est un esprit malade et fantasque qui se manque sans cesse de parole à lui-même et qui, dans un élan bienveillant, vous promettrait de parler pour vous à son éditeur Frémont, et l’oublierait une heure après. Je croirais plus sûr de vous faire recommander par ce vieux pédant de Duchemin, un homme grave, une intelligence d’élite, comme disent les journaux du gouvernement, un ancien grand maître de l’Université ! C’est le patron officiel de Frémont, et il peut tout sur lui.

— Mais un si important personnage ne se dérangera point pour moi.

— Écrivez-lui, marquise, répliqua le vieux Duverger avec malice, et je suis certain qu’il accourra ; il passe pour très-galant encore.

— Galant avec son enveloppe et son pédantisme. Oh ! cher poëte narquois, repris-je, vous raillez toujours !

— Eh ! eh ! ma chère enfant, vous oubliez en me parlant ainsi que je suis fort laid, ce qui ne m’a pas empêché d’avoir un cœur. Et Duverger me jeta un de ces regards mélancoliques qui donnaient parfois une navrante expression à sa face réjouie.

— Je suis de l’avis de Duverger, reprit Albert de Ger-