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beaux jours s’étaient apaisées ; je n’étais plus atteinte par les effluves périlleuses d’une atmosphère en feu qui, en passant dans l’air que nous respirons, nous pénètrent et nous brûlent. Je subissais comme l’anticipation d’une vieillesse soudaine, où le calme se fait dans le sang et dans le cœur, et n’y laisse plus qu’une sympathie placide pour ceux qui furent orageusement aimés. J’éprouvais une mélancolie heureuse, dégagée d’indignation contre Léonce et sans effroi de l’amour d’Albert. Je pensais à cette heure où la mort nous emporterait tous les trois dans la cité mystérieuse qui confond les âmes ; je me disais : Malheur à ceux qui s’étant aimés dans la vie, ne pourront s’aimer dans la mort. Alors il me venait des idées si clémentes, que j’aurais voulu donner un baiser de paix, un baiser de l’âme, à tous ceux qui me furent chers ici-bas. Comme j’étais plongée, un matin, dans une de ces rêveries bienfaisantes et que je regardais la pluie qui tombait toujours, mon fils vint me tirer par ma robe en me disant :

— Maman, allons voir Albert ; il m’est apparu cette nuit en rêve ; il était tout pâle étendu sur son lit ; il m’a tendu les bras en m’appelant par mon nom.

— Nous irons, mon enfant, répondis-je, mais je voudrais bien que le soleil se montrât dans le ciel.

— Non, reprit l’enfant, car alors il serait à la promenade, et par ce mauvais temps nous le trouverons chez lui.

Nous partîmes vers deux heures ; la pluie avait cessé, mais de gros nuages couraient encore dans le ciel gris,