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dans une heure de jalousie et de colère, que ce tour de bourgeois madré et de Normand imperturbable ! Comment le sang des aïeux que votre mère vous a transmis et auquel l’esprit de votre grand-père, le conventionnel, a mêlé la force et la sincérité, comment ce sang généreux et fier n’a-t-il pas bouillonné dans vos veines devant la bassesse de votre amant ?

Tandis qu’Albert parlait, j’éprouvais un genre d’angoisse qu’une femme, qu’une mère peut seule comprendre. C’était quelque chose d’analogue aux transes de l’avortement quand ce poids mort, qu’hier encore nous sentions tressaillir, se détache de nos entrailles vivantes ; tous les instincts maternels se révoltent, on voudrait garder et porter toujours, le cher et déchirant fardeau, mais c’en est fait, il nous échappe en nous torturant.

Ainsi, sous la parole acérée d’Albert, il me semblait sentir se dissoudre et tomber mon amour.

J’étais plongée dans un morne silence ; Albert me regarda, et voyant que mes pleurs inondaient mon visage, il me dit :

— Qu’ai-je fait ? oh ! si vous pouviez m’aimer je vous consolerais, mais n’étant pas aimé je viens d’être pour vous, je le sens, un instrument de torture !

Il couvrit sa tête de ses mains et nous restâmes quelques instants sans parler.

Je pleurais toujours, regardant avec égarement ces lettres profanées d’où Albert venait de tirer des présages de malheur.