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la gêne où vous mit votre procès et pour combattre la pauvreté, que vous receviez vaillante avec un sourire, vous avez songé à vendre ce grand et bel album où tous les génies contemporains ont déposé un hommage. Chateaubriand ouvre le cortège suivi de Victor, de Rossini, de Meyerbeer, de Manzoni ; c’est-là qu’est l’éloquente page d’Humboldt dont vous m’avez parlé ! Ce livre, fait pour vous, vous était bien cher, vous y teniez par toutes les délicatesses du cœur et de l’esprit, mais vous y teniez moins qu’à votre fierté native ; donc, un jour de détresse, vous l’envoyez en Angleterre au libraire de la reine, vous attendez anxieuse que quelque lord millionnaire acquierre pour un peu d’or ce joyau du génie. Vous avez pleuré en vous en séparant, mais comment faire ! le vendre est pourtant un bonheur, car votre dignité est bien au-dessus de ce trésor. Ainsi vous pensiez et vous attendiez chaque jour l’heureuse nouvelle ! elle ne venait pas ! Eh bien ! je lis ici, dit-il en agitant une lettre, que cet homme allant en Angleterre, vous l’aviez chargé de voir le libraire de la reine et de vous dire si l’album était vendu : combien un mensonge eût été facile ! Le mensonge de l’affection, le mensonge délicat et inspiré, qui nous permet d’obliger mystérieusement un ami par un subterfuge. Cet homme est riche, il voyage, il n’épargne rien pour ce qui peut coucher sur des roses sa personnalité ; il vous a écrit mainte fois, dans des élans de générosité fantastique, qu’il souffre de la gêne où vous vivez, et qu’il voudrait être un magicien pour vous faire habiter