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ce qui m’importe peu, chère marquise ; mais quel dédain ne prodigue-t-il pas à de grands écrivains qu’il n’égalera jamais ; à Sainte-Rive, par exemple ; de quel ton il méprise sans le comprendre son beau roman psychologique sur l’amour, un des livres les plus forts de l’époque ; ce qui n’empêchera probablement pas ce farouche orgueilleux, s’il publie un jour son œuvre, d’aller mendier à Sainte-Rive quelques mots d’éloge.

En parlant ainsi, Albert froissait la lettre où Léonce se moquait du fameux critique.

— Mais ceci n’implique en rien son cœur et importe peu à mon amour, lui dis-je, en protestant toujours.

— Vous avez donc la prétention de dédoubler un être ? reprit Albert d’un accent railleur ; non, non, la nature est plus logique que votre amour : tout se coordonne et se complète dans une organisation ; le cœur de votre Léonce est le corollaire évident et palpable de son cerveau, ce cœur est un organe indéfiniment dilaté, mais insensible, une gibbosité vide où tout entre et d’où rien ne sort, comme dans la bosse d’Arlequin, ajouta-t-il en riant plus fort.

— Oh ! ce n’est pas par ces bouffonneries que vous ébranlerez l’idole, lui dis-je.

— En effet, répliqua-t-il avec une amère ironie, ce monsieur-là mérite bien qu’on le prenne au sérieux. Eh bien, soit, j’y consens et vous allez voir, ma chère, comme il y gagnera ! — En prononçant ces mots, il saisit deux lettres qu’il avait placées à l’écart. — Deux