Page:Colet - Lui, 1880.djvu/36

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 15 —

prophétiser juste ; Albert de Lincel est une des plus vives préoccupations de mon esprit ; il a glissé un soir devant moi comme un fantôme : il y a de cela plus de douze ans ; depuis ce soir-là, je ne l’ai point revu ; mais j’ai lu, et je sais par cœur tout ce qu’il a écrit. Et regardez là, dans le petit nombre de mes livres préférés, j’ai les siens, et chaque jour je les ouvre, attirée et ravie par cette inspiration si vive, par ce style net et précis, qui sait être éloquent sans être diffu, et chaleureux sans être ampoulé. Albert de Lincel me semble sans prédécesseur parmi les écrivains français. Sa verve et son humour, comme les jets de flamme d’un soleil d’été, se dégagent de la brume ; sa passion a des traits soudains, inattendus et superbes, que j’appellerais volontiers olympiens, tels que des flèches sacrées décochées par les dieux sur les mortels. On croirait entendre la vibration de l’arc de Diane chasseresse, car sur sa grandeur courent l’élégance et la légèreté. Albert de Lincel, comme tous les esprits originaux et tranchés, a fait et fera de détestables imitateurs : on prend si aisément la familiarité pour l’ironie, et le cynisme pour la passion inquiète. J’en reviens à l’auteur ; convaincue de la vérité de ce mot immortel de Buffon : Le style, c’est l’homme, je suis bien sûre qu’Albert de Lincel porte en lui la séduction de ses écrits ; mais, Dieu merci, je me sens désormais invulnérable : le vertige n’atteint pas les gens heureux, et, je vous l’ai dit, mes amis, j’ai le bonheur.

— N’eussiez-vous pas le bonheur, ou tout au moins son rêve auquel vous croyez, me dit en souriant mon