Page:Colet - Lui, 1880.djvu/358

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 337 —

en s’emparant d’une lettre et en la parcourant ; ceci, c’est l’apologie de la solitude que vous fait durant quatre pages ce jeune homme si brûlant d’amour : vous êtes sa vie, dit-il, et il se sépare volontairement de vous pour se retrancher dans un labeur acharné ; il supprime les affections de son cœur dans l’espoir d’être inspiré ; c’est absolument comme si l’on supprimait l’huile d’une lampe pour qu’elle brûlât mieux. Rappelez-vous la vie de tous les grands hommes : ils n’ont conquis leur génie qu’à force d’amour ! Que veulent donc ces petits Origènes de l’art pour l’art qui s’imaginent qu’en se mutilant ils deviendront féconds !

Ici je trouve, continua-t-il en prenant une autre lettre, qu’il prétend nous surpasser tous par la correction du style ! Naïf orgueil ! comme si écrire était un travail de symétrie, de marqueterie et de polissure. Si l’idée ne fait pas palpiter le mot, que m’importe ! Si les plis réguliers de la draperie frissonnent sur un mannequin, serai-je ému ? et Albert se prit à rire de ce rire moqueur qu’une fraîche jeune fille jette à la beauté factice d’une coquette fardée.

Il poursuivit :

— Cet homme travaille depuis quatre ans à un long roman dont il vous parle sans trêve ; chaque jour il y ajoute une page péniblement élaborée, et là où les inspirés ressentent la puissance des voluptés de l’esprit, il vous avoue qu’il n’éprouve, lui, que les affres de l’art ? C’est le pédagogue qui, à l’heure de la création, se sent engourdi comme un bloc, tandis que le premier éco-