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vous aimer d’amour, car j’en aime un autre qui m’aime et dont rien ne saurait me séparer !

Il chancela et devint tellement livide que j’eus peur du mal que j’avais fait.

— Oh ! murmura-t-il lentement : vous ne valez pas mieux qu’elle, vous aussi en retour de mon amour vous me faites souffrir !

— Est-ce ma faute, lui dis-je en pressant ses mains dans les miennes, si avant de vous connaître mon cœur s’était donné ? Allez-vous donc m’en vouloir de la vérité, comme vous en avez voulu à Antonia de son mensonge ? fallait-il vous tromper ?…

— Oui, plutôt que de m’arracher à ce rêve qui allait me faire revivre ! Adieu donc, ajouta-t-il, je n’en veux pas savoir davantage.

— Vous êtes dur, lui dis-je, et vous répondez bien mal à ma loyauté ; fallait-il vous traiter comme un enfant qui ne souffre pas qu’on s’interpose entre son désir et l’impossible ? Oh ! cher, cher Albert, si la confiance d’une âme forte et sincère vous épouvante, pourquoi vous étonner qu’Antonia vous ait menti ? Sans doute elle avait compris dans la profondeur de son génie que l’homme nous refusera toujours la liberté de l’amour et la dignité de la franchise.

— Taisez-vous, taisez-vous ! s’écria-t-il avec emportement, je me soucie bien de ce que vous me dites, j’aime mieux regarder votre pâleur et votre abattement qui, du moins, me font croire que vous souffrez du mal que vous me faites.