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tion toute intérieure ne m’inspirait pas un mot qui la trahit ; je continuai à répondre gaiement aux plaisanteries d’Albert Nattier.

Lorsque nous parvînmes au sommet du roc, à l’endroit même où j’avais soulevé Antonia et l’avais étreinte sur mon cœur pour l’emporter dans l’éternité, j’eus sur le visage un rayonnement plus vif ; involontairement je tendis les bras à l’ombre du passé comme à un ami inespéré qui me revenait.

En retournant à la maison ce fut la même gaieté apparente et le même travail secret de mon cœur. Je croyais souffrir et j’avais été heureux.

Deux ans plus tard j’écrivis sur ce souvenir les stances dont on a tant parlé et que vous préférez, m’avez-vous dit souvent dans votre partiale amitié, au Lac de Lamartine.

Ce que cette femme a fait de moi vous le savez maintenant, ce que je suis resté après tant de chagrins et d’essais infructueux de déplorables consolations, vous le voyez, chère marquise, l’être est dévasté mais le cœur vibre encore comme dans un monument en ruine un écho tressaille et répand la vie. Depuis que je vous ai rencontrée, chère Stéphanie, les pulsations de ma jeunesse se sont réveillées ; je sens de nouveau le bien, le beau, l’amour ! Laissez-moi renaître, laissez-moi vous aimer ! et en parlant ainsi, Albert éperdu et épuisé par l’émotion de son long récit appuya sa tête sur mes genoux et couvrit mes mains de caresses convulsives. Je ne le repoussai pas ; j’étais trop véritable-