Page:Colet - Lui, 1880.djvu/341

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 320 —

que je l’aurais courbée, c’est à mon amour que je l’aurais soumise !

— N’est-ce pas assez parler d’elle ? fit Albert Nattier avec un signe d’impatience ; voilà plusieurs années que tu ne m’en avais rien dit et je te savais gré de cette fermeté de silence. Je te trouve aujourd’hui d’une loquacité sombre et vaporeuse : si je te laisse seul, tu feras quelque maussade élégie bien plaintive ; viens plutôt avec moi dîner à la campagne, ou j’attends quelques joyeux amis.

Je le suivis comme je suivais depuis longtemps toute distraction facile que le hasard m’envoyait.

Albert Nattier avait une pittoresque habitation dans les environs de Fontainebleau ; elle touchait à la lisière de la forêt. Mais, j’avoue ma faiblesse, jusqu’à ce jour je n’avais pu me déterminer à retourner sous ces grands arbres et à revoir ces défilés sauvages et magnifiques si souvent parcourus avec elle. L’idée d’y pénétrer me remplissait de la même terreur qu’aurait ressenti un enfant contraint d’entrer seul dans un bois sombre rempli de brigands et de bêtes fauves ; il me semblait que toutes mes passions et tous mes souvenirs allaient se déchaîner et me mordre au cœur dans ces lieux où j’avais été heureux. Ce jour-là, je ne sais pourquoi j’eus plus de courage.

Les hôtes qu’attendait Albert Nattier n’étaient pas encore venus quand nous arrivâmes ; je lui proposai de monter à cheval et de nous aventurer dans la forêt.