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— Vous êtes la punition de mon orgueil ; cela devait être.

Je vis deux longues larmes couler de ses yeux, et je me fis horreur. Ce que je lui avais dit, tout autre aurait pu la lui dire, mais moi je devais me taire.

Après ces scènes cruelles, j’essayais pourtant de l’aimer encore, d’être heureux et de la lier à moi. J’évoquais le passé, j’en faisais remonter de chères images ; j’en formais autour d’elle comme une ronde fantastique où je m’emprisonnais. Mais à côté des souvenirs riants s’en dressaient d’autres insultants, tyranniques, et qui me murmuraient de ces mots irréparables que la mort ne doit pas effacer : toujours je voyais à ses côtés, comme son ombre, le fantôme railleur de l’Infidélité.

Nous ne travaillions plus durant ces jours orageux. Mais sous le règne si paisible et si court du doux Tiberio, elle avait écrit un roman qui venait de paraître et qui excita bientôt la plus vive polémique dans les journaux : les uns proclamaient ce livre une œuvre philosophique où se résumaient les souffrances et les aspirations de l’époque ; d’autres n’y voyaient qu’une élucubration ambitieuse et vide, où toute vraisemblance et toute morale étaient violées dans un style tour à tour charmant et emphatique. Un journaliste avait trouvé piquant de reconnaître l’auteur sous l’héroïne, et se permit de diriger contre Antonia des attaques tellement violentes que je me sentis offensé. Je pouvais bien, dans la poignante colère de mon amour.