Page:Colet - Lui, 1880.djvu/311

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 290 —

aimée ; mais il exerçait une sorte de justice distributive que je n’étais pas en droit de lui interdire.

Comme je ne répondis rien à son récit, il changea de conversation et me parla de ce que j’écrivais.

Lorsqu’il fut sorti, je couvris mon visage de mes mains, et je les sentis mouillées de larmes brûlantes, En bravant à ce point le scandale, Antonia voulait faire acte d’indépendance féminine ; elle pensait que la beauté de Tiberio et sa simplicité, qui n’était pas sans grandeur, intéresseraient à sa nouvelle passion les amis qu’elle avait laissés en France. Si j’avais assisté au dîner donné par Frémont, peut-être aurait-on trouvé bon de fêter l’Italien à mes dépens ; mais moi absent, on jugea de meilleur goût de me le sacrifier.

Ce que Frémont avait prévu arriva : Antonia se prit tout à coup pour ce bel amant de ce dégoût subit que l’intelligence communique aux sens. Elle en vint à le trouver vulgaire et laid ; ce fut là le signe le plus évident de sa lassitude, car la beauté de Tiberio avait été l’attrait réel de l’empire fugitif qu’il avait exercé sur elle.

Sitôt qu’il cessa de lui plaire, elle n’eut plus aucun souci de cet être passif et doux, Frémont vint me faire visite et me conta que, la veille, Tiberio avait reçu son congé.

— L’exécution a été nette et brève, ajouta-t-il ; dans ces occasions-là Antonia tient d’Élisabeth d’Angleterre et de Catherine la Grande. Elle m’avait écrit pour me demander mille francs d’à-compte sur son nouveau ro-