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— Voilà de quoi faire la fortune de Frémont, me dit-il avec cette confraternité cordiale que je n’ai trouvée qu’en lui, et, le jour même, il alla monter la tête à mon éditeur sur les trésors que j’avais en portefeuille. Affriandé par les éloges que me prodiguait René, Frémont vint me faire des offres brillantes ; je les acceptai bien vite, j’avais hâte de renvoyer à Antonia plus que je ne lui devais. L’argent que nous prête une femme m’a toujours semblé un outrage. Je ne lui écrivis point, j’attendais qu’elle commençât : enfin sa première lettre arriva, longue, étudiée, ainsi que je le sentis plus tard. C’étaient des phrases ingénieuses, éloquentes et travaillées comme dans les belles pages de ses romans.

Elle me peignait sa tristesse après mon départ, elle avait voulu revoir tous les lieux que nous avions vus ensemble ; seule, enveloppée dans une mante noire et portant pour ainsi dire le deuil de notre amour ; Tiberio avait vainement insisté pour l’accompagner durant ces promenades commémoratives, elle s’y était refusée, elle aurait craint de profaner mon souvenir par une sensation nouvelle, car elle devait bien me l’avouer, son attrait pour Tiberio persistait. Soumis comme un fils, tendre comme un jeune frère, il lui donnait des heures d’une sérénité et d’une quiétude d’autant plus chères qu’elles n’étaient jamais troublées par les exigences de l’amour et l’emportement de la passion. Ils en étaient encore à la pureté de la tendresse et à l’idéal du désir.