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ôter de devant moi ces yeux que je vois toujours ? » J’avais à mes pieds l’abîme, l’avalanche au-dessus ; un aigle noir planait sur la cime des bois immobiles. J’avançais pensif, apercevant sans cesse, comme deux flammes qui me devançaient, ces yeux maîtres de mon cœur. Ainsi, dans le moyen âge, la superstition croyait voir des feux inextinguibles précéder la marche des damnés. Les sombres sapins semblaient me faire cortège : les uns étaient debout comme des fantômes ; les autres couchés comme des cadavres. En passant sous leur ombre, je me souvenais du mot dit par Byron dans le même lieu : « Ces arbres ont un air de cimetière qui me fait songer à mes amis. » Ô Byron ! quand tu traversais ce désert immense et que les rameaux morts de ces troncs foudroyés craquaient sous tes pieds, ton cœur, j’en suis sûr, entendait leur silence ! Ils en savent peut-être plus que nous, ces vieux êtres muets attachés à la terre.


XiX


À mon arrivée à Paris, on eût pu me comparer à un de ces impétueux soldats qui, partis gaiement pour la guerre pleins d’ardeur et d’espérance, en reviennent obscurs, mutilés, le front balafré et le cœur dégoûté des promesses de la gloire. J’étais si changé, que ma fa-