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Le peu de force qui m’était revenu succomba dans cette crise suprême. Je m’affaissai sur mon lit et je fus repris par la fièvre.

Antonia ne me quitta pas et recommença ses soins de mère. Vers le soir, me sentant mieux, je lui dis que j’étais déterminé à quitter Venise le lendemain. Elle me conjura de retarder d’un jour mon départ ; j’étais trop faible, objecta-t-elle pour me mettre en route ; elle exigeait cette dernière preuve d’affection ; elle m’accompagnerait jusqu’à Padoue et ne me quitterait que rassurée sur ma santé.

Je l’écoutais stupéfait. Quel mélange inexplicable de sollicitude et de cruauté ! Peut-on être à ce point ange secourable et bourreau ? Il n’y a que les femmes capables de cette dualité.

Je ne combattis plus son désir ; je n’avais plus qu’une volonté arrêtée, celle de m’éloigner et d’échapper au tourment incessant de cet être inexplicable.

Il fut convenu que je partirais le surlendemain. Elle m’épargna l’angoisse et l’humiliation de revoir Tiberio ; je lui en sus gré. Durant ces deux jours d’attente, elle ne s’occupa que de moi ; elle me prodiguait ces empressements excessifs qu’on prodigue durant leur agonie à ceux qui vont mourir. C’est elle-même qui fit ma malle ; elle la remplit de mille gâteries maternelles. Je me souviens qu’en arrivant en France j’y trouvai des bijoux charmants qu’elle avait achetés pour moi ; elle mit dans ma bourse la moitié de l’argent que lui avait envoyé son éditeur, me fit faire un manteau bien