Page:Colet - Lui, 1880.djvu/294

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 273 —

— Mais convenez donc, m’écriai-je que vous appartenez à cet homme, ce tutoiement le prouve assez.

— Belle preuve, vraiment ! fit-elle avec ironie, vous oubliez mes habitudes de camaraderie ; est-ce qu’à Paris je ne tutoyais pas tous mes amis devant vous ? Et d’ailleurs, qui me forcerait à mentir ? ne suis-je pas libre de mes actions et dégagée envers vous ? Irritée hier soir par vos tyrannies, j’ai écrit cette lettre au seul être qui m’aime dans cette ville étrangère. Voilà mon crime.

— Mais tu es à lui, m’écriais-je, je le sais, j’en suis sûr, un soir j’ai vu ses lèvres sur les tiennes.

— Je vous ai dit que je l’aimais, répliqua-t-elle ; mais par pitié pour vous, j’ai lutté, j’ai résisté…

— Je ne veux pas de ta pitié, répondis-je ; dès aujourd’hui je pars et te laisse à ton nouvel amour.

Il me semblait en prononçant ces mots que les murs de ma chambre vacillaient autour de moi ; je m’affaissai sur mon fauteuil et mes larmes coulèrent silencieusement sur mes joues, comme si elles avaient été le sang de la blessure qu’elle me faisait.

Je ne lui parlais plus, je ne la voyais plus, tout disparaissait autour de moi ; je ne sentais que ma douleur inguérissable. Il se passa alors quelque chose d’inouï : elle s’agenouilla devant moi, attira ma tête sur son sein et but les pleurs que je répandais.

— Tu souffres, cher Albert, me dit-elle avec douceur, eh bien ! dis un mot, et je te sacrifie l’attrait que j’éprouve pour Tiberio.