tait encore interdit ; je ressemblais à un vieillard paralytique. Je regardais tristement à travers les vitres les gondoles noires défiler. On eût dit autant de tombes flottantes ; le ciel était gris, le froid de l’hiver se faisait sentir, j’étais transi comme un moribond. Je demandai qu’on fît un grand feu dans ma chambre et je ne voulus plus quitter le coin de ma cheminée. J’avais mille fantaisies de convalescent ; j’exigeai des mets français difficiles à préparer, des vins rares qui me ranimaient, des fleurs qui plaisaient à ma vue, des fourrures qui me réchauffaient ; Antonia satisfaisait à tous mes caprices avec la sollicitude d’une mère. Intelligente et active malgré le temps que lui prenaient les soins qu’elle me donnait, elle trouvait encore le loisir d’écrire, de se parer et de sortir chaque jour. Tantôt elle partait seule, tantôt avec Tiberio à qui elle demandait devant moi de l’accompagner pour faire une promenade. Quand ils s’éloignaient ensemble avec cette apparence de bonne foi qui rassurait mon cœur, je souffrais moins que lorsque je la voyais me quitter furtivement sous quelque prétexte d’emplette ou d’étude. Alors je me disais : À coup sûr il l’attend ! elle va le rejoindre, je suis indignement trompé, et je ne peux m’assurer de leur trahison !
Que de fois, sitôt qu’elle avait disparu, j’essayai de me lever de mon fauteuil, de marcher dans ma chambre, puis de m’élancer sur ses pas. Mais mes jambes fléchissaient, et mon extrême faiblesse me donnait le vertige ; je me rasseyais alors, plein de rage