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Je me prescrivis de dormir et je dormis. Au réveil je demandai impérieusement à manger ; Antonia voulait attendre pour me satisfaire l’arrivée du docteur, mais elle dût m’obéir. Mes idées se rafermissaient par degré ; je commençais à me rendre compte de ma situation. M’étant trouvé seul un moment avec la servante, je lui ordonnai de m’apporter un petit miroir qui me servait à faire ma barbe. Je m’y regardai et je tressaillis d’effroi ; c’était mon spectre qui m’apparaissait. La mort m’avait touché de si près qu’elle m’avait laissé son empreinte. Malgré ma force ou plutôt ma volonté renaissante, l’effort que je fis pour me lever fut impuissant, mais du moins j’avais la faculté de voir et de penser. Le souvenir me revenait comme remonte peu à peu à la surface un objet longtemps englouti. Je songeai à la France, à ma famille que j’avais laissée dans l’angoisse et qui devait se mourir d’inquiétude de mon long silence. Je songeai à mes amis qui attendaient surpris et railleurs l’apparition d’un de mes ouvrages. Qu’était devenu mon esprit ? créerais-je plus jamais un livre, une page ? Je me sentais triste et humilié comme une femme stérile. Qu’était-il resté de moi, mon Dieu ! dans cette crise de l’amour qui m’avait pris corps et âme ?

J’en revins à aimer et à désirer mon pays, mes parents, la gloire, tout ce qui m’avait paru inutile à ma vie quelques mois auparavant. Ces idées renaissantes me causaient une agitation extrême ; je voulais tout ressaisir et tout m’échappait encore. Si je l’avais pu