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noncer un seul mot et je retombai bientôt dans un tel anéantissement que c’est à peine si je compris la servante quand elle revint lui dire qu’elle n’avait pu se faire entendre du docteur qui était déjà remonté en gondole. Lui sans doute avait deviné la signification de mon cri et n’avait pas été tenté de se montrer à moi.

Cependant Antonia relevait ma tête sur les oreillers, remettait mes bras sous la couverture et passait sa main légère sur mon front brûlant. La servante lui offrit de veiller près de moi pour la remplacer, elle refusa.

— Je souffrais trop, dit-elle, pour qu’elle pût me quitter un seul instant. Elle resta courbée auprès de mon lit jusqu’à ce que voyant mon souffle plus régulier et plus calme elle s’imagina de nouveau que je m’endormais. Elle s’assit alors sur le fauteuil où bientôt je la vis reposer la tête renversée. Son visage avait dans le sommeil une expression de force et de sérénité qui me faisait douter de ce que j’avais vu. L’abandon n’est pas à ce point dévoué ; la trahison n’est pas à ce point radieuse.

Pauvre cerveau malade, n’avais-je pas rêvé ? pouvais-je avoir la certitude de ce que j’éprouvais, quand je n’avais pas la certitude de moi-même ? Ce doute affreux et humiliant m’inspira une volonté vigoureuse qui domina mon abattement et en triompha ; je résolus de renaître, de revivre, de n’être plus un enfant ni un fou qu’on pouvait contraindre et tromper ; j’exerçai dès lors sur moi-même une sorte d’empire raisonné ; je m’imposai un régime dont je ne voulus pas démordre.