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blonde, m’est toujours restée comme un de ces tableaux dont le souvenir dessine nettement tous les contours. C’était à l’Arsenal, dans ce salon que l’esprit et la poésie emplissaient chaque dimanche soir. Les femmes en ce temps-là, celles du plus grand monde, aimaient et recherchaient encore les écrivains de génie ; il n’était pas permis, comme aujourd’hui, de n’avoir rien lu, rien admiré, rien senti de grand et de beau, rien aimé d’illustre ! On eût rougi d’enfermer sa vie dans l’incommensurable ampleur d’une robe, et de forcer une jolie tête couverte de diamants à l’incessant et abrutissant calcul d’un luxe ruineux ; on avait alors des toilettes moins riches, mais plus de sentiments dans le cœur et plus d’idées dans le cerveau ; on faisait des coquetteries et des avances aux gens d’esprit et aux littérateurs. Des princes et des princesses donnaient l’exemple.

C’était donc une faveur, même pour une jeune marquise, d’être reçue aux dimanches intimes de l’Arsenal. Nos grands poëtes y disaient leurs vers ; nos compositeurs célèbres y faisaient entendre leur musique ; puis pour finir la soirée, les jeunes femmes et les jeunes filles dansaient au piano.

J’étais mariée à peine depuis deux mois quand j’allai, pour la première fois, à l’Arsenal. Mon mari, bizarre et jaloux, me contraignait à ne paraître dans le monde qu’avec des robes montantes et les bras cachés sous des manches longues. J’obéissais, très-indifférente alors à tout ce qui ne tenait pas aux choses du cœur et de