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més, je courbai ma tête sur mes genoux et me pris à pleurer.

— Qu’avez-vous ? s’écria Stella effrayée.

Je saisis sa main, et la joignant à celle de son amant :

— Vous qui vous aimez, leur dis-je, ne vous quittez jamais ! ne vous faites pas souffrir l’un l’autre ; mieux vaut la mort.

Ils n’osèrent me questionner, et dans leur bonté ils restèrent silencieux devant mon chagrin.

Cependant l’aube naissante projetait des lignes blanches à travers la noire teinture de la gondole.

Je dis tout à coup à mes amis :

— Où voulez-vous me conduire ?

— Mais, chez vous, si vous le désirez, repartit le Vénitien.

— Non, non, pas encore, plus tard, donnez-moi pour quelques heures asile dans votre maison.

— De grand cœur, répliqua Stella, vous souffrez, votre pâleur effrayerait votre amie ! Venez d’abord vous reposer chez nous.

Leur maison était située sur le quai des Esclavons, près du palais qu’habita Pétrarque ; quand nous y arrivâmes, le jour commençait à se lever, mais Venise dormait encore. Mes amis me conduisirent dans une chambre et me supplièrent de me coucher. Je le leur promis ; mais, à peine seul, j’allai m’accouder au balcon de la fenêtre ouverte. J’y restai longtemps immobile, anéanti, regardant les brouillards se jouer sur la lagune déserte et couvrir d’un rideau les palais si-