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— Pardon ! pardon ! signor ; mais c’est la signora Zéphira qui m’envoie vers vous.

— Eh ! que me veut-elle ? répliquai-je impatienté.

— Elle m’a dit, quand je lui ai remis votre carte, que si vous n’alliez pas chez elle aujourd’hui même, elle ne me ferait pas débuter. Elle prétend qu’il faut que vous me choisissiez un nom de théâtre ; car mon nom arabe est trop long et trop difficile à retenir.

— Eh bien, répondis-je, va dire à Mlle Zéphira que tu t’appelles Mlle Négra[1] : ce nom convient à ton visage. Et, en disant ces mots, je la quittai ; je traversai la cour du palais ducal, puis la place Saint-Marc, pleine de promeneurs.

Autant la nature et la solitude m’apaisent et font remonter l’âme en moi, autant la foule, le mouvement joyeux ou affairé d’une ville, la vue des couples riants m’agitent, aiguillonnent mon sang et m’entraînent au plaisir. Alors je ne suis plus poëte ; je suis une chair qui frémit et délire et veut sa part de la vie universelle.

Bien décidé pourtant à rester sous la calme influence de ma promenade au Lido, je parcourus la place sans rien regarder, et je rentrai aussitôt pour me mettre au travail.

Je vis Antonia accoudée à la fenêtre du salon. Je me rendis dans ma chambre sans chercher à lui parler, et je m’assis devant la table où j’écrivais ;

  1. Noire.