Page:Colet - Lui, 1880.djvu/226

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 205 —

poëte qui gémit en toi. La connaissance de tout ce qui fût, la vue des passions et des misères humaines, la perception de l’infini dont il ne peut pénétrer le mystère,

    élégance ? Ne nageait-il pas mieux qu’aucun nageur de son temps ? Ne jouait-il pas avec aisance à tous les jeux de dextérité ? — On devrait encore ajouter, a-t-il donc toujours aimé platoniquement ? N’a-t-il pas été marié ? Et dans toutes ces différentes circonstances pouvait-il cacher des difformités pareilles à celles que lui prête M. Trelawney ? Ajoutons encore aux preuves matérielles que son corps a été embaumé par les docteurs Millingen, Bruno, Meyer, et que ces messieurs ont parlé de la parfaite conformation de lord Byron, à l’exception d’un pied.

    Il existe un charmant portrait de lord Byron enfant, peint par Finden, qui le représente debout et jouant de l’arc, et ses jambes dans ce portrait sont jolies et élégantes comme toute sa personne. Mais je ne finirais pas si je voulais énumérer toutes les preuves du mensonge de M. Trelawney. Quant à la mélancolie de lord Byron, elle a été pour le moins bien exagérée. Lord Byron était habituellement serein et gai dans les dernières années de sa vie. Lorsqu’il a souffert de quelques instants de mélancolie, ce n’était certes pas à cause d’une imperfection de son corps, pour la beauté duquel, comme pour toutes les autres qualités, qui faisaient de lui un être si privilégié, il ne pouvait que remercier le ciel, mais cette mélancolie provenait de son tempérament poétique, si sensible et si aimant ; de la perte d’amis et de personnes aimées ; de la perte aussi de quelques illusions de jeunesse, et plus tard de l’ingratitude, de la calomnie, de toutes les basses et hypocrites passions conjurées contre lui pour le punir de sa supériorité. On peut l’attribuer aussi à ce poids des grands problèmes de notre existence, qui pèse sur les grandes âmes plus que sur les esprits ordinaires.

    » Mais dans les dernières années de sa vie, lorsqu’un esprit de philosophie et des tendances plus religieuses qu’on ne croit, et qu’il ne s’avouait pas encore à lui-même eurent agi sur lui, son âme devint de plus en plus sereine, et tout le monde qui l’a vu alors s’accorde à dire qu’il était habituellement gai, enjoué, charmant. »