Page:Colet - Lui, 1880.djvu/223

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 202 —

menade solitaire. Je songeais à son long ennui qu’une mort glorieuse abrégea ; il m’apparaissait toujours fatigué de vivre et incertain de l’amour. Je m’appuyai

    de tous les hommes ; Thorwaldsen était un artiste de génie, et quoique la beauté de lord Byron fût d’un ordre si élevé que ni le pinceau, ni le ciseau n’aient jamais pu la saisir, car, par l’expression de son grand génie et de sa belle âme, cette beauté devenait presque surnaturelle ; toutefois, ce sculpteur éminent l’a interprétée mieux que tout autre, et a pu faire passer dans son marbre quelque rayon de cette ravissante beauté. Quant à un autre buste fait par Bertolini, ne le regardez même pas : c’est une honte pour l’artiste, homme de talent mais sans idéal. Vous savez ce que dit Shakspeare dans Hamlet :

     »… He was to this
     » Hyperion — to a satyr. »

    Le même cœur qui avait dicté ces lignes s’émut lorsque M. Trelawney publia récemment à Londres un livre sur lord Byron, où il prétend qu’ayant voulu revoir Byron mort et s’étant trouvé un moment seul dans sa chambre, il souleva le drap qui le cachait et découvrit :

    « Qu’il avait le buste d’Apollon, sur les jambes tordues du satyre. »

    La Revue des Deux-Mondes et la Presse parlèrent de ce livre, et c’est à cette occasion que celle qui avait connu lord Byron dans l’éclat de sa gloire, de sa jeunesse et de sa beauté, nous écrivit la lettre suivante, énergique et convaincante réfutation de l’invention fantastique de M. Trelawney :

    « … Que dire ? quels mots employer pour exprimer ce qu’on éprouve lorsqu’on lit des choses semblables, et surtout lorsqu’on voit la bonne foi et l’élévation d’âme accepter à regret, — mais accepter pourtant de pareils mensonges ? — Jamais, croyez-le bien, Dieu n’a prodigué et réuni sur une de ses créatures, un ensemble de dons comme sur lord Byron. Mais, hélas, jamais aussi les hommes ne se sont plus acharnés à disputer un à un ses dons ; ne pouvant pas monter jusqu’à lui, ils ont tâché de le faire descendre jusqu’à eux. Ils ne l’ont épargné que là où il était absolument inattaquable. Ne pou-